L’apport des neurosciences

Le traumatisme et la mémoire traumatique

Oserais-je vous faire un aveu ? Oh pas bien terrible, je le reconnais, mais quand même … !?!

Je n’ai jamais aimé les cours de sciences … La biologie, la physique et la chimie m’ont toujours donné l’impression d’appartenir à un autre monde que le mien et de se situer en dehors de connaissances abordables pour moi.  

Que d’efforts pour y comprendre un tant soit peu.  

Et que j’aimerais vous entendre penser : «  c’est tout à fait moi ça ! » afin de me sentir moins seul …

Et voilà que comme intervenant dans le domaine psychosocial, j’entends de plus en plus les mots « cerveau », « neurosciences cognitives », « neurosciences affectives » …  En effet, les recherches dans ces domaines se multiplient et nous apportent de nouvelles connaissances qu’on ne peut plus ignorer quand on s’intéresse au développement et au fonctionnement de l’être humain.  De plus, les apports de ces recherches ont un impact sur nos pratiques d’intervenants psychosociaux dans le domaine de l’aide à la jeunesse.

Par conséquent, j’ai décidé de me lancer un défi : tenter de transmettre de manière abordable l’apport des neurosciences par le biais de petits articles, de schémas, de petites capsules vidéo.   Cette initiative est aussi induite par l’objectif principal d’Atouts : comprendre encore mieux ces enfants, adolescents, parents que nous accompagnons afin que nous puissions co-créer des pistes d’intervention qui correspondent le plus à leurs besoins.

Je suis, comme beaucoup d’intervenants psychosociaux, interpellé, touché voire bouleversé par les souffrances vécues par les enfants dont on me parle dans mon travail de superviseur. Souffrances induites par la négligence, le manque de sécurité, les ruptures, les abandons, les coups physiques et psychologiques, les violences conjugales, la précarité économique et sociale et tant d’autres choses qu’on ne soupçonne même pas…  Il est difficile de nous confronter à ces vécus terribles et injustes subis par les enfants et aux conséquences néfastes voire toxiques pour leur développement.  Bref, ces enfants subissent des traumatismes.  

Mais c’est quoi un traumatisme ?  

C’est le premier concept que j’ai envie de mieux comprendre à travers les neurosciences.  Ce n’est sans doute pas le plus simple, mais un des plus urgents à maîtriser, me semble-t-il, pour accompagner ces enfants bénéficiaires de nos services … 

Traumatisme 

1. Mes observations

Quand j’ai évoqué le mot « traumatisme », dans mon cerveau (ben oui, évoquer les neurosciences est aussi un moyen de mieux se connaître, ce qui est essentiel puisque comme déjà écrit sur notre site, comme intervenants sociaux, nous devons interroger notre propre histoire), me sont de suite apparues des observations faites régulièrement dans mon activité de formateur et de superviseur à Atouts. 

Ainsi,

  • Souvent, il y a des « trous » dans l’histoire des enfants dont on me parle
  • Le vécu des trois premières années de vie des enfants est très flou alors que ce sont des années essentielles pour le développement de l’enfant
  • Les intervenants psychosociaux énumèrent les négligences et maltraitances physiques, psychologiques, sexuelles subies par l’enfant avec une tonalité affective identique à celle utilisée pour raconter les événements banaux de la vie.
  • Les intervenants sont déconcertés par les comportements violents répétitifs posés par ces enfants et ce d’autant plus quand, comme intervenants, ils sont convaincus d’élaborer un cadre de travail clair, d’être cohérents dans leurs interventions et les règles éducatives qu’ils mettent en place : « Comment se fait-il que pour cet enfant, cela ne rentre pas, qu’il continue à agresser les autres …  On prêche dans le désert ! »
  • Les intervenants sont en grosse difficulté tant dans leur ressenti que dans leurs pensées quand le mandant ne perçoit pas leurs inquiétudes concernant l’enfant qu’ils accompagnent.
  • Les intervenants sont conscients que les enfants qu’ils accompagnent ont vécu des choses qui font partie de l’impensable et qui ne sont pas justes.  
  • Pour tout intervenant se mettre face à l’impensable est extrêmement difficile et périlleux : comment intégrer que l’être humain peut faire preuve d’une telle inhumanité, surtout par rapport à des enfants et, comment « traiter » ce vécu impensable subi par l’enfant ?

2. Penser l’impensable

Dans un deuxième temps, le mot « traumatisme » a fait resurgir dans mon cerveau (eh oui, encore lui) des histoires racontées durant mon enfance et adolescence pendant les fêtes de famille par mes parents, oncles et tantes concernant la seconde guerre mondiale, guerre vécue enfants.  Ces histoires regroupaient toujours des éléments à la fois des plus tragiques et des plus comiques.  Elles étaient racontées avec gravité et celle-ci était souvent dépassée par des anecdotes qui suscitaient des éclats de rire.

Afin de mieux comprendre ces récits et leurs impacts émotionnels, j’ai ressenti le besoin de lire des ouvrages concernant cette période tragique de notre histoire.  L’horreur de cette période, je l’ai éprouvée dans tout mon corps et mon cœur à travers le roman de Jonathan Littel, Les bienveillantes, paru en 2006.  J’ai pu mieux appréhender les impacts des atrocités commises par les nazis par la lecture de nombreux témoignages …  Et dans ces lectures, le concept de traumatisme, même s’il est rarement cité, est présent en permanence.

Là, certains se disent « Victor veut nous parler de neurosciences mais il fait tout pour éviter le sujet : défi raté ! »  Je vous promets de ne pas me perdre en chemin mais laissez-moi aussi suivre la route qu’emprunte mon propre cerveau … 

2. a. Témoignages

Je souhaite donc vous livrer deux témoignages sans lien direct avec les enfants et les familles des services de l’Aide à la Jeunesse mais parce qu’ ils sont représentatifs de ce qu’est un traumatisme et ses conséquences.  De plus, explorer les apports d’un autre cadre de référence permet parfois d’éclaircir ce qui est vécu dans le cadre dans lequel on se situe.2

Je n’ai jamais parlé à mes enfants parce que, bêtement, j’ai refusé de les impliquer dans mon destin. Je ne me rendais pas compte que mon destin, c’était le leur. Je ne voulais pas qu’ils souffrent de mon histoire. Et j’avais bien tort. Même si je ne leur ai rien dit, ils ont perçu toutes mes angoisses. Ils sont d’ailleurs tous très anxieux, quelque part ils ne sont pas bien dans leurs pompes. En 1995, j’ai décidé qu’avant de mourir il me faudrait aller là où mes parents et ma petite sœur sont morts. Trois de mes enfants et mon épouse m’ont accompagné. Pendant tout l’après-midi qu’a duré ce pèlerinage, je n’ai pas dit un mot, je ne faisais que pleurer. Mais cela a fait du bien à mes enfants, car je crois qu’à Auschwitz les pierres et le vent racontent l’histoire. Il suffit d’être attentif, d’écouter, on entend tout, on comprend tout. Je crois que ce jour-là, mes enfants ont tout compris.

Sam Braun, 77 ans. Déporté à Auschwitz en 1943 avec ses parents et sa petite sœur, il est le seul à en être revenu.

L’histoire de papa a toujours été omniprésente sans qu’on ne l’ait jamais évoquée en direct. C’est curieux, nous connaissions son passé sans rien en savoir de précis, et nous nous sommes tous construits sur ce silence. Papa a voulu nous protéger, mais on peut dire que c’est raté : la force du non-dit est d’une telle violence… Certaines de mes angoisses viennent probablement de là, ma peur du gaz, du feu, ma difficulté à me séparer, notamment de mes filles. J’ai toujours besoin de savoir où elles se trouvent au cas où elles disparaîtraient.

Françoise, 47 ans, sa fille aînée.
2.b. Réflexions

Le vécu des détenus des camps de concentration durant la seconde guerre mondiale est sans doute un des vécus les plus impensables et des plus traumatiques subis par des êtres humains.  D’ailleurs, la plupart des prisonniers se sont tus durant 30 ans car ils pensaient qu’on ne les croirait pas s’ils expliquaient la vie dans ces camps.

Que nous apprennent ces deux témoignages sur le traumatisme et que pouvons-nous en retirer d’utile par rapport à notre travail dans le domaine de l’Aide à la Jeunesse ?

  • Le traumatisme s’inscrit dans le temps.  En retournant sur les lieux du traumatisme, 50 ans après l’avoir vécu, on perçoit à travers le silence et les larmes de Sam Braun combien la souffrance induite par les événements traumatiques est encore bien présente. Donc, le traumatisme fait mal au moment où on le subit mais il continue à faire mal dès que nous nous le représentons, dès que nous nous retrouvons face à des éléments qui nous le rappellent.  Retenons pour les enfants que nous accompagnons que si nous ne « travaillons » pas leurs traumatismes, ceux-ci continuent à agir en eux.  Or autant, à l’heure actuelle, on accompagne des adultes après un vécu traumatique, autant les enfants sont souvent abandonnés à leur propre sort.
  • Il existe une réelle peur à aborder le vécu traumatique par la parole, tant pour celui qui l’a vécu que pour ceux qui accompagnent la victime du trauma. Comprenons, combien pour un enfant, il est difficile d’aborder son vécu traumatique et ce pour des raisons multiples (que j’évoquerai peut-être dans un autre article) dont la première et la plus forte est sans doute la honte.
  • L’entourage est contaminé par le vécu traumatique d’un proche.  Je pense que comme intervenants de l’Aide à la Jeunesse, nous devons veiller à nous protéger de tous ces événements impensables auxquels nous sommes confrontés.  Souvent nous nous taisons, nous prenons sur nous.  C’est un mauvais mécanisme de défense que de « prendre sur soi ».  Même si chacun doit réfléchir personnellement à comment il peut évacuer les « lourdeurs » professionnelles, je pense que des réponses collectives, des réponses d’équipe pour faire face aux risques de possible contamination doivent être mises en place.  En équipe, chacun doit pouvoir avoir le droit de dire à certains moments que c’est trop lourd, qu’il est dégoûté, scandalisé par l’histoire de cet enfant et, parallèlement, le vécu d’équipe doit comprendre des moments plus légers, plus conviviaux dont l’objectif principal est de passer du bon temps ensemble.
  • De nombreux enfants, adolescents que nous accompagnons dans l’Aide à la Jeunesse ont vécu dans un contexte insécurisant et/ou suscitant la peur.  Les moments où ces enfants ont été séparés de leurs donneurs de soins, les moments où ils n’ont pas obtenu une réponse rapide, chaleureuse, cohérente et prévisible à des besoins urgents ont été vécus avec des émotions désagréables très intenses. Leur corps et leur cerveau n’en sortent pas indemnes. 

Ces témoignages et réflexions indiquent que le traumatisme vient toucher, effracter le corps et le psychisme de celui qui le subit mais aussi des proches et mêmes des soignants qui l’accompagnent.  C’est pourquoi le mot traumatisme est à associer au mot psychotraumatisme. 

Voyons de plus près la définition de ces deux termes …  Et je vous réentends me dire que je ne parle toujours pas de neurosciences … !  Même si ça se bouscule dans mon cerveau, je vous promets qu’on va y arriver et vous allez voir que les neurosciences nous permettent de donner un éclairage théorique aux observations et réflexions développées précédemment …

3. Traumatisme et psychotraumatisme

Le traumatisme est un choc violent, brutal, souvent inattendu qui affecte, blesse les tissus et les organes (on s’approche du cerveau …), par exemple après un accident de voiture, on parle d’un traumatisme crânien (euh, là on est très proche du cerveau mais ça n’a rien à voir …).

Quand on évoque le psychotraumatisme, on parle d’une effraction du psychisme par des excitations violentes suite à un événement menaçant pour la vie ou pour l’intégrité physique ou psychique d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur.

Cette effraction est telle que les défenses mises habituellement en place ne fonctionnent plus.

Le psychotraumatisme est l’ensemble des troubles psychiques immédiats (et pouvant s’installer dans le temps au point de devenir chroniques) qui se développent chez une personne après un événement traumatique ayant menacé son intégrité physique et/ou psychique.

J’imagine que vous avez déjà tous subi des événements plus ou moins intenses qui ont effracté votre psychisme.  Ces événement vous les avez soit « digérés » en peu de temps, soit après un long temps ou même jamais.  Face à ces événements, vous avez peut-être agi ou fui … Mais s’ils étaient extrêmement intenses ou violents, vous avez peut-être été paralysé et n’avez rien pu faire.  Dans cette dernière réponse, Il arrive de se sentir dépassé, de ne pas comprendre pourquoi on ne réagit pas et de se demander, parfois longtemps après, pourquoi on n’a pas réagi avec, souvent, un réel sentiment de culpabilité.

Et bien, les recherches récentes sur le cerveau nous permettent de mieux comprendre ces trois types de réactions et surtout la dernière, nommée sidération.  Vous voyez que j’y arrive. Je me lance …

Impacts de l’impensable sur notre cerveau

Les événements traumatiques et leurs conséquences psychotraumatiques affectent nos comportements, nos émotions et nos pensées.  C’est bien ce qui nous différencie de l’animal.  La gazelle attaquée par le tigre vit un trauma mais si elle lui échappe, elle reprend très rapidement sa vie normale après l’agression.  Son cerveau n’est pas assez développé pour vivre un psychotraumatisme.

Par contre, l’être humain, comme le dit Boris Cyrulnik va souffrir deux fois :

  • Il souffre au moment où l’agression se passe
  • Il (re)souffre une deuxième fois de l’agression en fonction des représentations et des questions qu’elle induit chez lui : pourquoi cela m’est-il arrivé ?  Qu’est-il arrivé au juste ? Pourquoi ai-je réagi ainsi et suis-je resté sans réaction ?  Qu’ai-je induit pour que cela m’arrive ? ….

Être confronté à l’impensable peut modifier la manière habituelle dont notre cerveau réagit au danger.  Les interconnexions entre la pensée, l’émotionnel et le comportement sont bouleversées car l’amygdale, l’hippocampe et le cortex sont noyés d’hormones de stress.

Osons regarder cela de plus près !

3.a. Amygdale – Hippocampe – Cortex associatif

La partie du cerveau dans laquelle les émotions intenses sont ressenties est le système limbique et ce, plus particulièrement au niveau de l’amygdale et de l’hippocampe.

L’amygdale est logée au plus profond de notre boîte crânienne et est interconnectée avec l’hippocampe situé juste un peu au-dessus d’elle.

C’est au niveau du système limbique que se développe le décodage des émotions et la détection du danger.  Face aux stress de la vie et notamment face à la peur, c’est ce système qui induit nos réactions qu’on peut regrouper en trois réponses : « je me bats », « je me sauve », « je reste sur place, je suis figé ».

L’amygdale va activer une de ses réponses, celles qui lui paraît la plus adaptée à la situation tout en s’aidant de l’hippocampe qui est le « logiciel » dans lequel sont stockés les souvenirs et les apprentissages antérieurs.  

Voyons comment ce logiciel peut être efficace face au danger mais être tout à fait inefficace face à l’impensable et ce plus précisément chez l’enfant.

Chez tout être humain, face à une menace, l’amygdale (sorte de système d’alarme) s’allume automatiquement avant même que cette menace ne soit identifiée et comprise.  La fonction de cette « alarme » est d’alerter et de préparer l’organisme à répondre au danger soit en lui faisant face soit en le fuyant.

Cette attaque ou cette fuite sont possibles car l’amygdale cérébrale va déclencher une réponse émotionnelle en produisant de l’adrénaline et du cortisol.  Ces deux hormones de stress, en fournissant à l’organisme de l’oxygène et du glucose en grande quantité, vont permettre de libérer les énergies nécessaires aux organes pour répondre au danger.

Simultanément, l’amygdale « alarme » donne des informations au cortex pour qu’il puisse analyser le danger et à l’hippocampe où sont stockés d’anciens souvenirs de réponses données face aux dangers.  Seul le travail d’analyse et de prise de décision du cortex aidé par la « banque de données » de l’hippocampe permettra d’éteindre l’amygdale « alarme ».

3.b. L’enfant face au traumatisme : quelles conséquences ?

Un enfant de 18 mois qui vit dans un environnement sécurisé avec une figure d’attachement principale fiable, prévisible, disponible et sensible cherchera à retrouver de la proximité avec celle-ci dès qu’il se sent stressé.  Par exemple, il se retrouve dans la rue avec sa maman et le hasard fait qu’à eux deux, ils rencontrent une tante de maman que l’enfant n’a jamais vue.  Cette dernière, ravie de voir sa nièce et son enfant tellement mignon, s’empresse de le prendre dans les bras.  L’enfant s’y sent en danger : cette tante est une inconnue, que va-t-elle lui faire ?

Son hippocampe a intégré que maman est fiable, que quand il demande sa proximité, elle est là et donc il se met à hurler, à tendre les bras vers maman, à se démener …  La tante est perdue, maman répond en tendant les bras et reprend son enfant.  Ce dernier s’apaise rapidement même s’il ne regarde plus trop la tante … 

Que s’est-il passé dans son cerveau ?  L’adrénaline et le cortisol déclenchés ont permis d’aller trouver dans l’hippocampe des archives de solutions intéressantes et le cortex a décidé de mettre en place les comportements produisant de la proximité avec la maman.  Comme cela fonctionne bien, l’amygdale va « s’éteindre » et les flux de cortisol et d’adrénaline vont s’arrêter.

Toutefois, face à des violences extrêmes et sans échappatoire possible, avec une impression d’impuissance totale, le cortex et l’hippocampe sont incapables de se représenter l’événement, de le relier à des repères et à réponses acquises.  Ce qui provoque pour l’enfant qui doit faire face à de la violence conjugale, à des violences sexuelles, physiques, psychologiques, un état de sidération.

Dans ce cas, la réponse hormonale reste maximale au vu des émotions. L’amygdale continue à produire de l’adrénaline et du cortisol à un point tel que ceux-ci deviennent toxiques pour l’organisme, toxique aux niveaux vasculaire et cardiaque pour l’adrénaline et au niveau neurologique pour le cortisol.

Pour échapper à ces risques vitaux, tout comme un système électrique peut disjoncter en cas de survoltage pour protéger les appareils électriques, le cerveau fait disjoncter le circuit limbique en secrétant des drogues dures anesthésiantes et dissociantes.

Cette disjonction isole l’amygdale, éteint la réponse émotionnelle et fait disparaître le risque vital en créant un état d’anesthésie émotionnelle et physique.

Dans ce cas, nous voyons alors apparaître des réponses dissociantes. La dissociation qui est un trouble de la conscience lié à la déconnexion avec le cortex, induit une sorte d’irréalité, d’étrangeté, d’absence.  L’enfant victime des violences a l’impression d’être spectateur des événements, de regarder un film.  Il est le « drone » qui filme sa propre agression et il ne peut rien faire, ni crier, ni porter des coups, ni s’enfuir.  Il est anesthésié émotionnellement et physiquement et semble tout supporter.  

Cette dissociation traumatique perdure chez l’enfant tant qu’il est confronté aux personnes et au contexte qui lui font subir ces violences mais aussi tant qu’il est confronté à une profonde incompréhension de ce qu’il a vécu.

Cette disjonction du cerveau coupe aussi l’interconnexion entre l’amygdale et l’hippocampe.  Ce dernier ne peut donc pas mener à bien son travail d’encodage et de stockage de la mémoire sensorielle et émotionnelle des violences.  En fonction de ce non-fonctionnement de l’hippocampe et de l’intensité de la disjonction, la victime pourra être amnésique de tout ou d’une partie des événements traumatisants.  Seules resteront alors quelques images très parcellaires, des bribes d’émotions envahissantes ou certains détails isolés.  C’est pourquoi, les enfants ont du mal à se souvenir de ce qui s’est réellement passé durant ces moments de terreurs et ont donc encore bien plus de mal à les décrire, les raconter.  

Et c’est là qu’intervient la mémoire traumatique 

3.c. La mémoire traumatique

La mémoire traumatique est la conséquence de violences extrêmes subies.  Elle se manifeste sous la forme d’envahissement de la conscience par des réminiscences qui font revivre à l’identique tout ou une partie du traumatisme avec la même détresse, la même terreur, les mêmes réactions physiologiques, psychologiques et somatiques que celles vécues lors des violences.

Elle peut se déclencher au moindre indice éveillant la perception du danger et qui va faire revivre la scène violente de façon hallucinatoire et inconsciente, avec les mêmes sensations, les mêmes douleurs, les mêmes phrases entendues, les mêmes odeurs, les mêmes sentiments de détresse et de terreur.

Quand cette mémoire traumatique agit, apparaissent aussi les réponses dissociantes : vous demandez à l’enfant pourquoi il vient de frapper quelqu’un, il est incapable de vous répondre et parfois même il ne sait pas qu’il a frappé ; l’enfant tombe et se fait mal mais il dit qu’il n’a pas mal …  L’enfant est sur un mode automatique, il se sent absent du monde, est coupé de lui-même et de son corps.

La disjonction se produit d’autant plus rapidement que la sidération est importante ou que le cerveau est immature.  Ainsi, plus l’enfant est jeune plus les conséquences du traumatisme seront sévères.

De plus, la dissociation traumatique rend le récit des victimes décousu.  En effet, comme l’état de dissociation induit une réelle déconnexion avec la réalité, les victimes et encore plus les enfants, ont des doutes sur ce qui s’est passé durant l’agression.  Trouver des repères permettant d’expliquer le lieu, le moment, le comment de l’agression est compliqué et plus leur interlocuteur sera incrédule ou agacé, plus la dissociation sera amplifiée.  Parallèlement la honte, une des émotions les plus douloureuses, ressentie par toute victime, est elle aussi amplifiée.

3.d. L’enfant face au traumatisme : comment traiter ?

Le traitement du traumatisme consiste à « déminer » la mémoire traumatique.  Ceci nécessite d’abord d’oser parler des différents traumatismes vécus par l’enfant.  Beaucoup de professionnels pensent qu’évoquer le traumatisme va le réanimer, le faire revivre.  Nous avons vu combien la mémoire traumatique se charge très bien de faire revivre le trauma.  

Donc comme travailleurs de l’Aide à la Jeunesse, ne fuyons pas le traumatisme ! Reconnaissons-le, identifions-le et permettons à l’enfant de l’évoquer : « nous savons que tu as vécu des violences qu’un enfant ne doit pas vivre.  Ce n’est pas juste que tu aies vécu cela et tu n’en es pas responsable.  Ces violences vécues induisent que parfois tu es dans ton monde ou que tu fais mal aux autres ou à toi-même car elles ont laissé des traces en toi que tu ne maîtrises pas encore et qui continuent à vivre en toi sans que tu le veuilles.  Nous allons t’aider à les maîtriser ou à t’en débarrasser. »  Il est essentiel que l’enfant puisse comprendre l’origine de sa souffrance, faire des liens entre les violences et les symptômes qu’il subit, replacer toutes les pièces isolées pour reconstruire l’événement traumatiques afin de diminuer les effets de cette mémoire traumatique.  Ce travail d’accompagnement doit être réalisé par une personne spécialisée mais en collaboration avec les professionnels qui rencontrent l’enfant au quotidien.

Ce travail est de longue haleine mais essentiel pour le bien de l’enfant.

Donc en cas de stress, le cerveau en déclenchant de l’adrénaline et du cortisol va activer l’hippocampe et le cortex pour abaisser ce stress.  Mais lors d’un traumatisme, le cerveau, pour notre survie, va déclencher une disjonction du système limbique qui induit des réponses dissociantes.  Celles-ci nous permettent de comprendre pourquoi beaucoup d’enfants que nous rencontrons dans l’Aide à la Jeunesse ne peuvent nous expliquer clairement leurs traumatismes et peuvent agir des comportements agressifs, auto-agressifs ou donner l’impression d’être psychiquement inaccessibles, d’être dans un autre monde.  Les traumatismes doivent donc être abordés avec ces enfants.

Mon cerveau est content d’avoir compris cela.  J’espère que le vôtre aussi.

Victor Pelsser

Bibliographie

  • Braun S., Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu, Ed. Albin Michel 2008
  • Lemieux J., L’adoption. Mieux vivre les trois premières années après l’arrivée de l’enfant, Ed. Québec-Amérique, 2016
  • Salmona M., Enfants victimes de violences sexuelles.  La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma. Intervention au colloque « La maltraitance des mineurs », cour de Cassation, France, 6 octobre 2016


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