Après la description de l’importance de la sensibilité, de la disponibilité, de l’acceptation et de la coopération, nous terminons cette série d’articles consacrés au thème de la sécurité affective par l’explication d’un dernier élément essentiel au développement de celle-ci, à savoir le sentiment d’appartenance.
Que l’enfant soit dans sa famille biologique, dans une famille d’accueil ou dans une institution, il est essentiel pour son bon développement qu’il vive l’expérience de « faire partie de … ». Le sentiment d’appartenance favorise le développement de l’identité : tout être humain a envie d’être comme les autres et à la fois d’être différent des autres. Découvrir sa spécificité se fait par le biais de la comparaison à l’autre. Se comparer aux membres de sa familles, à ses pairs, aux autres personnes de ses groupes d’appartenance va aider l’enfant à définir qui il veut être et qui il est.
La certitude de l’appartenance à une famille, un foyer, un groupe renforce le sentiment de sécurité affective mais aussi le plaisir et le désir de côtoyer et rencontrer l’autre et donc les capacités d’exploration.
De nombreux enfants placés dans une famille d’accueil ou dans un SRG ressentent toujours puissamment le sentiment d’appartenir à leur famille biologique avec laquelle ils ont pourtant souvent développé un attachement insécure. Ces mêmes enfants peuvent cependant déjà retirer des bénéfices à être inclus dans une famille d’accueil ou un SRG à long terme avant même que les nouvelles relations d’attachement qu’ils y développent ne soient sécures.
On observe souvent que, pour ces enfants, confrontés à un intense sentiment de loyauté, appartenir à un lieu de placement et collaborer à ses règles de viepeut être plus facile que d’accepter un engagement émotionnel avec les adultes qui s’occupent d’eux. En effet, l’enfant doit d’abord affronter différentes pertes :
- Des personnes : papa, maman, amis, copains, voisins, …
- Des lieux
- Des rythmes
- Des animaux
- Des habitudes et des règles
- Des odeurs et des sensations
- ….
En plus de ces pertes, il doit faire face à une série d’incertitudes :
- Combien de temps vais-je rester ?
- Veut-on de moi ici ?
- Vais-je pouvoir m’adapter ? Comment ça se passe ici ?
- Que va-t-on faire avec moi ? Que va-t-on penser de moi ?
- Que vont devenir mes parents ?
- …
Ainsi, l’adaptation à un nouveau lieu de vie représente un défi énorme : se lever le matin, prendre un petit-déjeuner dans un lieu non-familier peut être une montagne à gravir pour un enfant. Et donc, prendre le risque d’un engagement émotionnel est la dernière étape du défi par lequel cet enfant doit passer surtout s’il reste empêtré émotionnellement dans des situations non résolues par rapport à sa famille biologique.
Accueillir un enfant dans une famille qui n’est pas la sienne ou dans une institution d’hébergement nécessite, une fois de plus, d’avoir des informations sur les expériences de vie familiale antérieures de l’enfant car elles ont modelé ses attentes et ses comportements adaptatifs à l’égard d’un nouveau lieu de vie.
Avec ces enfants placés, tout comme avec ceux que nous accompagnons au sein de leur famille biologique, nous devons, comme intervenants psychosociaux du secteur de l’aide à la jeunesse, veiller à créer et développer une vie communautaire :
- Chaleureuse émotionnellement
- Sécurisante physiquement et psychiquement
- Faisant preuve d’acceptation et de soutien pour chacun de ses membres
- Fixant des attentes claires et raisonnables quant à la gestion de cette vie en commun.
Que nous intervenions à domicile ou dans un lieu d’hébergement, voyons quelques activités concrètes que nous pouvons proposer aux enfants/adolescents et à leurs familles pour renforcer le sentiment d’appartenance :
- Déterminer clairement les activités routinières du lieu de vie et la manière dont elles vont se dérouler avec des temps précis : heure du lever, heure du coucher, heure des repas, heure du bain …
- Dire qui va accompagner le jeune enfant dans ces activités routinières : qui va l’aider à se laver, à s’habiller, à aller dormir, …
- Attribuer des endroits particuliers à l’enfant dans la maison : un crochet propre à l’enfant pour suspendre son manteau, une place à table, son nom sur la porte de sa chambre, des motifs sur ses draps ou couettes, les éléments de décor dans sa chambre …
- Favoriser les repas pris en commun et des activités diverses en commun : jeux, activités en dehors du lieu de vie comme des promenades, aller à la piscine …, des activités exigées par une vie communautaire telles que faire la vaisselle, dresser et ranger la table, donner un coup de balai, ranger du linge …
- Réaliser un génogramme
- Créer un livre d’histoire de vie et continuer à le remplir. Ce livre contient des informations, des photographies, des récits qui relient l’enfant aux autres personnes qui partagent le même lieu de vie que lui.
- Exposer des photos de l’enfant seul ou accompagné des personnes qui lui sont proches, des photos permettant de se souvenir de moments agréables passés ensemble.
- Établir des projets qui permettent de se réjouir de mener une activité ensemble comme aller voir un film ensemble au cinéma
- Éveiller les différents sens de l’enfant en l’aidant à percevoir des éléments spécifiques de son lieu de vie : l’odeur d’un plat cuisiné, la douceur d’un vêtement, les morceaux de musique que l’on aime écouter ensemble, les changements de la nature induits par le rythme des saisons …
- Faire ses activités avec le groupe des garçons/filles
- Faire des activités par tranches d’âge
- Permettre à l’enfant/adolescent d’avoir, dans le lieu de vie, un espace qui lui est spécifique rien qu’à lui et dans lequel il peut s’isoler en toute intimité
- Parfois, lui permettre de choisir ce qu’on va manger ensemble
Renforcer chez un enfant/adolescent le sentiment d’appartenance va, tout comme la sensibilité, la disponibilité, l’acceptation inconditionnelle et la coopération, permettre que s’installe petit à petit une sécurité affective, déjà tellement nécessaire à tout être humain et encore bien plus essentielle à tous ces jeunes, souvent blessés par la vie, que nous rencontrons comme professionnels de l’aide à la jeunesse.